Annette Charlot, hommage à un maître et une amie
Quel bonheur c’était d’arriver au 189 rue Ordener, prendre l’ascenseur bleu turquoise vieilli et s’envoler vers le 6ème étage de l’immeuble “Montmartre aux artistes” pour aller chanter… En arrivant, toujours à l’heure, souvent en avance, on entendait résonner, derrière la petite porte blanc lunaire, les “man”, les “blan” ou les “gri” de l’élève précédent, puis on attendait… Quand la voix s’arrêtait, on pouvait sonner sur la petite plaque de cuivre R.A.Charlot…
La porte s’ouvrait sur une magicienne, toute petite, courbée et fragile mais le regard incroyablement espiègle et caché derrière de grosses lunettes d’écaille jaune, souvent vêtue d’un lainage doux, de petits chaussons bordeaux aux pieds… C’était Annette… L’élève sortait, tantôt Patrick Bruel ou Jeanne Moreau, Estelle ou Alain Souchon et notre tour arrivait, de fermer la porte intérieure, de se défaire de son manteau, de prendre place sur une petite chaise bretonne en bois foncé pour commencer ses exercices…
Quelles leçons c’étaient ! Quelle qualité de méthode, quelle intelligence d’oreille et quel moment formidable d’accompagnement vers soi-même… Mais attention, elle ne vous ratait pas “Mme Charlot”, rien ne passait ! Ni une consonne mal appuyée, ni un diaphragme fainéant, ni un empressement, un phrasé rentré, une diction ampoulée…Ne parlons pas d’une fausse note ; “Ouvrez, mais ouvrez !!”, “Il ne travaille pas assez votre ventre”, “Articulez”… Assise à son piano, haute comme trois pommes… La dureté et la robustesse du savoir dans l’œil.
C’est dans un univers à la fois rustique et romantique, issu d’une autre époque, mélange de porcelaines, de meubles anciens, de bibelots, d’éclairages feutrés, d’odeur de velours et de bois que l’on venait chercher “sa voix”. Elle trouvait Annette… À tous les coups… Elle savait mettre en exergue la qualité de chacun tout en faisant prendre conscience des défauts, À tous les coups elle trouvait. Quel amour de son métier, quel savoir de la douleur de l’artiste, de sa difficulté à s’accomplir et à faire sortir le comédien… On sortait des cours accouché de sensations et de liberté. Quand on avait la chance qu’Annette veuille bien nous faire travailler, quel privilège c’était car c’est elle qui choisissait… Quand on était son ami, elle était riche de récits, de souvenirs et de savoir… généreuse. Elle pouvait être drôle, provocante, très exigeante et tellement humaine. Que de dîners au Paris-Bohême ou à “l’indien” nous aurons fait… comme on a pu rire… elle mangeait tout le temps au restaurant Annette… C’était une dame, et il ne fallait pas que la qualité ou la fête viennent à manquer à la vie… Même si il n’y avait plus un sou, il fallait que tout soit vivant, comme en musique…
Il y eu aussi les étés à Barbizon et ses déjeuners à l’ombre, les enregistrements chez Sysmo ou elle vous faisait sortir vos tripes, ses coups de gueule contre Internet et les trente cinq heures, ses petits secrets, ses grands moments, le Bercy de l’un, l’Olympia de l’autre, ses petits yeux gourmands pour un bon foie gras, un verre de vin… puis il y a eu la fin à 93 ans, partie retrouver les siens à côté de Compiègne… Merci tellement à toi ma gueule pour tout ça… tu es dans mon cœur.
Alain